Interview pour Les Chroniques de l’Imaginaire
Interview réalisée le 30/06/2014 via Facebook.
Baern : Bonjour, Sébastien, merci de nous consacrer votre temps pour cette interview.
Pour débuter, je vais vous présenter en quelques mots à nos lecteurs. Vous êtes né en France en 1979, vous êtes écrivain et entrepreneur. Vous avez fondé votre propre maison d’édition, Le Caractère Imaginaire, en 2010. Enfin, vous avez quitté la France pour aller vivre en Angleterre. Quelque chose à ajouter?
Sébastien Degorce : Tout d’abord, merci de me donner la parole. J’ai quitté la France car Paris me rendait dingue et parce que je vis avec une Anglaise. Le coin de l’Angleterre où j’ai atterri il y a un an aujourd’hui est vraiment très beau, les gens sont accueillants, mais il n’est pas exclu que je revienne.
Le Caractère Imaginaire est certes une maison d’édition, mais c’est avant tout le nom commercial sous lequel je réalise, en tant que freelance, des missions de correction, de réécriture et de mise en page pour des éditeurs français. Mon travail d’éditeur se borne pour le moment à la réédition de textes de la Révolution française, que je mets à la disposition des lecteurs grâce à un système d’impression à la demande.
B : Vous avez publié en avril 2014 vos deux premiers romans, Les Portes noires et, dans un registre totalement différent, Treize mois – chroniques d’un larbin étoilé. Le premier se classe dans le registre de la dark fantasy et le deuxième est une critique sociale teintée d’humour. Comment s’est passée cette double sortie ? Quels sont les retours ?
SB : Cette double sortie a été très excitante, car les deux ouvrages, très différents, ont été publiés par deux éditeurs eux-mêmes très différents. Défendre deux livres à la fois demande du temps et de l’énergie, et je me suis demandé si l’un des ouvrages n’allait pas voler la vedette à l’autre. Mais cette peur s’est vite apaisée. Ces ouvrages peuvent être appréciés pour des raisons variées, et quand un livre est écrit, ma foi, il faut lui laisser le temps de rencontrer son public.
Les avis que je commence à recevoir sur Les Portes noires sont globalement bons et enthousiastes, mais parfois mitigés, dans la mesure où le roman a été très travaillé et qu’il supporte une étiquette « dark fantasy » qui peut laisser attendre une lecture facile. Le lecteur nourri aux trilogies anglo-saxonnes (où « ça bastonne » et où les codes du genre sont bien respectés) sera par exemple déçu, voire découragé. Les amoureux des romans du XIXe siècle y trouveront plus leur compte.
Les Portes noires est un roman à la fois contemplatif et creusé politiquement. J’y ai mis toutes mes tripes.
J’ai eu d’excellents retours de Treize mois. L’ouvrage se lit vite (très vite, même !) et remporte une franche adhésion. J’avais un peu peur de la manière dont il allait être pris dans ma ville natale, Issoudun, où l’action prend place. Finalement, les gens l’ont très bien accueilli.
Un jour, alors que je travaillais dans un café avec l’illustrateur des Portes noires, celui-ci m’a lancé : « Tiens, j’ai fini de lire Treize mois… j’me rends compte que t’es un marrant, en fait. Quand on a lu Les Portes noires, on s’attend vraiment pas à ça ! »
B : J’ai pu lire que la première version des Portes noires date du début des années deux mille et qu’elle avait été publiée sous forme de cahier. Que s’est-il passé entre la première version des Portes noires et celle qui est sortie chez Voy'[el]? Pouvez-vous nous dire quelques mots sur les soucis que vous avez eu à récupérer ce livre auprès de l’éditeur prévu initialement ?
SB : J’ai commencé à écrire Les Portes noires en 1997 et l’ouvrage a connu plusieurs moutures. Entre la première version (une autoédition en 2000 qui ne voulait absolument rien dire !), et la dernière (neuf mois de travail à raison de huit heures par jour pour tout reprendre), il m’a fallu apprendre à écrire pour l’autre (jusque-là, je cherchais avant tout à me divertir, moi) et à me réapproprier la langue française (études littéraires par correspondance, puis école d’édition).
Je n’ai eu aucun soucis à récupérer les droits sur l’œuvre, qui devait initialement être publiée chez Morey Éditions en 2012 (maison aujourd’hui disparue). Après avoir rencontré de graves problèmes de trésorerie, l’éditeur a dû abandonner un grand nombre de projets, dont Les Portes noires. Heureusement, Voy'[el], éditeur indépendant orléanais, a tout de suite accroché.
B : Ce n’est pas un roman facile d’accès, le coût de son originalité, de sa diversité et de sa profondeur probablement. Où avez-vous trouvé l’imagination et la créativité pour écrire sur ces thèmes et pourquoi avoir choisi ceux-ci ? Comment avez-vous fait pour faire lever cette atmosphère sombre et prenante ?
SB : Vous me flattez… merci ! Les romans « faciles d’accès » sont très souvent la règle sur un marché où ce sont les consommateurs qui créent la demande, où la prise de risques est minimale (et la gestion des coûts maximale), et où l’on met tout en œuvre pour abêtir le peuple. Je force le trait, mais globalement, c’est ça. Les éditeurs mainstream traduisent des romans anglais et américains – qui respectent donc un certain canon –, ils gèrent l’aspect marketing et des auteurs qui, dans cette vision, sont parfois amenés à se créer un personnage pour espérer toucher les gens et survivre. Une dynamique éditoriale sérieuse existe en France, mais elle est peu visible à cause de l’énorme production des consortiums que nous connaissons.
Les Portes noires est un roman français qui ne triche pas, qui ne prend pas les lecteurs pour des idiots (sans pour autant les prendre de haut). Je suis motivé par le désir de faire passer un message de fond, sans faire de compromis commerciaux sur la forme (j’aurais pu être publié ailleurs, mais j’ai refusé de dénaturer mon livre en en faisant une trilogie). Dans cette optique, je marche main dans la main avec mon éditrice.
Les thèmes que j’aborde dans ce livre me viennent de mon passé de rôliste, de mes lectures (œuvres classiques et ouvrages de sciences humaines) et de mon vécu. Les Portes noires aborde beaucoup de choses : des thèmes généraux comme le tribalisme, les manipulations politico-religieuses, le colonialisme ; mais également des questionnements plus personnels : la notion de responsabilité, l’amour inconditionnel, la maternité et le rapport à la mort.
L’ambiance sombre que j’ai construite est peut-être due aux prétentions de certains personnages et à la dure réalité à laquelle sont confrontés ceux qui ont une dimension plus humaine. J’ai construit Les Portes noires comme une tragédie, et le pays très sombre dans lequel se déroule la majeure partie de l’histoire est pour moi un personnage à part entière. J’entretiens un lien très fort avec ma région natale, dont je m’inspire beaucoup.
B : De quelle manière vos lectures habituelles (détente ou travail) ont-elles été une source d’inspiration ?
SB : Quand j’étais adolescent, des œuvres comme Le Dit de la Terre plate de Tanith Lee (dont le style est très biblique), Le Cycle d’Elric de Michaël Moorcock ou Lestat le vampire d’Anne Rice m’ont donné très envie d’écrire. Ensuite, ce sont les choses qui me semblaient critiquables dans le monde actuel qui m’ont inspiré, et qui me poussent toujours à écrire. Pour être compris, certains sujets sont difficilement attaquables de front. Il faut donc créer les conditions qui permettent de les appréhender et de les pénétrer. Le roman m’a paru être la forme idéale.
B : Par ailleurs, comment est-ce qu’un homme occupé comme vous l’êtes, bi-classé auteur-entrepreneur, gère-t-il son temps entre l’écriture et les travaux pour les clients ?
SB : Aujourd’hui, je passe la majeure partie de mon temps à corriger et à réécrire des ouvrages de physique et de sciences humaines (sociologie, politique et histoire essentiellement), ce qui me demande beaucoup de temps et d’espace de cerveau disponible.
Quand j’écris, généralement, c’est le matin, au réveil, ou tard dans la nuit. J’achève actuellement un recueil de contes intitulé Les Bêtes et les Ombres. J’ai également un roman de littérature fantastique en préparation. Il y sera question de tribus et de chamanisme, comme au début des Portes noires, mais l’approche sera totalement différente. Cette fois, le monde décrit sera en connexion avec le nôtre. Mais il me faudra certainement plusieurs années avant que cet ouvrage ne voie le jour, ce qui laisse le temps à mes autres ouvrages de faire leur chemin.
B : Est-ce que le travail accompli en tant qu’éditeur/correcteur/préparateur via Le Caractère Imaginaire aide lors de l’écriture d’un roman personnel ? Les compétences acquises par ce biais facilitent-elles la collaboration avec vos éditeurs ?
SB : Mon travail de lecteur-correcteur et de préparateur de copie m’aide à adopter un ton, à manier les registres, et à me montrer rigoureux. Et il est clair que ma connaissance du milieu et de ses usages facilite ma collaboration avec les éditeurs. Quand on comprend le rôle d’un éditeur, sa valeur ajoutée dans le processus éditorial, mais également les problématiques auxquelles il doit faire face, la collaboration a toutes les chances de bien se passer.
B : Étant donné que vous habitez en Angleterre, envisagez-vous des traductions en anglais de vos ouvrages ? Ou des adaptations sur d’autres supports ?
SB : Ces jours-ci doit paraître, en édition bilingue, l’un des contes du recueil dont je viens de parler. Je remercie ma compagne pour son travail de traduction. Le conte, intitulé Three ducks in a moat (en français Les Douves du Plaix), sera disponible sur le site du Caractère Imaginaire.
B : Enfin, pour terminer cet entretien, auriez-vous une suggestion de lecture ?
SB : Oui ! Pour comprendre le monde de l’édition : L’édition sans éditeur d’André Schiffrin, aux éditions La Fabrique ; et si vous avez envie de rigoler, La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole.
Merci beaucoup pour vos questions.