La Sorcière et la Peste
(inspiré de faits réels en temps de Covid)
Un jour vient où la sorcière, qui toute sa vie a paru gentille,
Veut se débarrasser de son vieux mari, que l’âge fatigue.
Pour lui, plus de carrosse à conduire, plus de jardin à entretenir ;
Pour la vieille, une charge inopportune, qui par les repas ronge sa fortune.
Elle court chez le médecin et lui chante des fables.
Mon mari se lève la nuit et délire, il ne contrôle plus ses paroles ;
Il faut l’enlever de ma maison et prendre soin de lui. »
Le médecin s’en vient et constate l’âge de l’homme, sans y voir d’alarme ;
Mais les instances de la vieille ont raison de son jugement.
Et le mari, sans bien comprendre où on le mène, finit dans le lit d’une méchante léproserie.
Bientôt les petits-enfants visitent l’homme, demandent des comptes aux nonnes.
Là-dessus, une sœur rend son verdict : le vieil homme n’est pas grabataire.
On en renvoie de plus fous chez eux, sans aide ménagère.
Et que dire du danger de la lèpre ? Il doit s’en aller.
On appelle sa vieille, qui fait la difficile, l’innocente,
Et demande pourquoi on la dérange.
« Vous devez reprendre votre mari, dit la nonne,
la loi vous y oblige, autant que les vœux du mariage. »
La vieille répond qu’elle ne peut soutenir la charge d’un vieil homme devenu fou.
On atteste qu’en son ami, point de folie ;
Une sœur viendra l’aider, à domicile.
La vieille s’étonne, demande pourquoi on lui en veut.
Puis, se sentant prise, s’écrie, qu’elle vivante,
Personne ne violera son foyer.
On discute, on tergiverse. Rien n’y fait.
Devant son opiniâtreté, on se décide à consulter le magistrat.
Il se prononce : la vieille doit reprendre son mari.
Au jour fixé, pourtant, pas de vieille, pas de carrosse.
Le vieil homme attend, dans son lit, appelle sa femme.
Mais la vieille ne vient pas, et l’homme, au soir, comprend qu’il gardera le lit.
Passent les jours, point de femme, et l’attente,
Et le manque d’appétit, font que l’homme, déjà fatigué,
Se laisse gagner par la mélancolie.
Doucement alors, inexorablement, on voit se peindre
Sur son visage, le tableau que la vieille avait fait accroire
En premier lieu, pour se décharger de lui.
Des soins attentifs pourraient lui redonner espoir.
Mais souvent, pour cent malades, une seule nonne ;
Les temps sont ainsi.
Tous les jours, les petits-enfants viennent au chevet du vieux.
Et l’homme, parfois, accepte de manger.
Mais le mal est fait : sa femme, qu’il plaint à tort, l’a abandonné.
Les attentions de sa descendance trouvent mal leur route,
Jusqu’à ce cœur blessé.
Le vieil homme sait que son automne est là.
Il appelle sa femme, néanmoins ; qui ne vient pas.
A-t-on idée d’enfermer un homme, alors que la peste sévit ?
Le cœur d’une sorcière ne s’en fait pas un souci.
Seul compte le confort, et l’assurance que chacun aura compris.